Le fameux article d'Emile Zola, J'accuse, a 110 ans.
Notre ami Gilles Bethon, au nom de la Ligue des droits de l'homme, née à la suite de l'affaire Dreyfus, me communique un article du président de la Ligue commentant l'actualité du message de Zola ( le titre " J'accuse" est de Clemenceau )
J'en publie ici l'extrait le plus actuel :
Montaigne
nous l’a appris, «chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine
condition». Avec chaque victime du racisme, de l’antisémitisme ou de la
xénophobie, c’est notre humanité commune qui est frappée. Or des femmes et des
enfants meurent sur les barbelés de Ceuta et de Melilla ou au large des îles
Canaries ; des déboutés du droit d’asile sont tués ou torturés après leur
reconduite à la frontière ; un enfant à Amiens, une femme à Belleville, un jeune
futur père à Rosny-sous-Bois s’écrasent au pied d’un immeuble pour échapper à la
chasse aux sans-papiers ; on se suicide en centre de rétention ; des enfants
sont arrachés à leurs parents pour crime d’absence de carte de séjour. On fiche,
on traque, on rafle ceux dont la vie n’est qu’exil, misère et angoisse. On
poursuit pour délit de fraternité ceux qui leur apportent secours et assistance.
Les instituteurs, les assistantes sociales, les inspecteurs du travail sont
sommés de rabattre ce misérable gibier vers les convocations pièges et les
souricières jusqu’aux portes des écoles. Alors, oui, nous sentons que la colère
d’Emile Zola n’est pas passée de saison. Combien d’années devrons-nous supporter
l’image d’une France qui claque la porte de l’asile et de la solidarité, qui
expulse petits et grands, qui maintient dans la précarité, la peur, la
surexploitation des centaines de milliers d’êtres humains qui vivent parmi nous
?
Chacun d’eux, désespéré au fond d’un centre de rétention, ligoté sur son siège d’avion, projeté dans l’inconnu à l’autre bout du monde, est comme un écho de l’innocent de l’île du Diable. Chacun de ces destins broyés est une nouvelle affaire Dreyfus. En leur nom à tous, au nom des milliers de «délinquants de la solidarité» qui restent fidèles à la République de Zola, j’ose me réclamer de la grande voix.
J’accuse ceux qui ont proposé, voté et fait voter ces lois inhumaines de persécuter des innocents pour le plus grand profit de mafieux, de marchands de sommeil et de travail au noir, et pour la plus grande honte des citoyens attachés à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. J’accuse ceux qui, semaine après semaine, exigent plus d’arrestations, plus d’expulsions, plus d’exils d’être la cause de souffrances innombrables, voire trop souvent de la mort d’humains qui ne sont coupables que de fuir la terreur ou la misère, de vouloir vivre le plus dignement possible et de rêver, pour leurs enfants, d’un avenir meilleur.
J’accuse ceux qui, par calcul ou lâcheté, détournent les yeux, se bouchent les oreilles et se tiennent à l’écart de la solidarité humaine avec les sans-papiers, les sans-asile, les sans-droits, de contribuer par leur passivité et leur silence à un repli xénophobe qui, dans les manuels d’histoire de demain, restera comme une tache sur le livre de la République. La Ligue des droits de l’homme, en ce 110e anniversaire de la publication du «J’accuse» d’Emile Zola, appelle chaque citoyenne et chaque citoyen à faire de cette cause d’humanité, d’égalité et de solidarité, en ces temps difficiles, notre affaire Dreyfus à tous.