Les amis de Jean Pierre Quemener lui ont rendu hommage en se rendant au Moulin, hier vendredi.
Nous sommes tous désemparés devant le grand mystère, cette grande peur. Hier, il y avait un homme. Aujourd'hui, plus rien. Hier, Jean Pierre était là parmi nous. Aujourd'hui il n'est plus rien, rien qu'une dépouille - le mot est terrible - qui a été confiée au feu : nous ne le verrons plus.
Et cela, notre cœur se refuse à l'admettre. Ce n'est pas possible, ce n'est pas vrai, ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste, comme me le répétait hier encore Pierre Quemener, son père.
Que le père voie disparaître le fils, ce n'est pas juste et peut-être n'y a t il pas plus grande douleur en ce monde. Mais que son épouse Jacqueline voie disparaître le compagnon d'une vie, ce n'est pas juste non plus, pas plus que pour ses enfants et petits enfants. Que la maladie frappe un homme dans la force de l'âge et le torture durant de longues années, ce n'est pas juste.
Tous les mots, les pauvres mots que nous pouvons dire ne peuvent soulager l'immense souffrance d'une famille. Tout ce que nous pouvons faire, c'est être là pour eux, pour qu'à la souffrance ne s'ajoute pas la solitude, pour affirmer qu'ils n'étaient pas seuls à aimer Jean Pierre.
Oui, nous l'aimions pour sa modestie, sa gentillesse, son sens de l'humour. Mais être un homme simple ne veut pas dire que l'on n'est pas profond.
Et nous l'admirions pour le sens qu'il a su donner à sa vie, par le service des autres, par le dévouement permanent. Sa carrière d'enseignant fut aussi celle d'un éducateur, d' un animateur de loisir, d'un professeur de curiosité.
Et son engagement syndical, sa participation constante et toujours bénévole à la vie civique et associative a été rappelée par ses pairs.
Jean Pierre était un humaniste, il croyait en l'homme et a consacré sa vie à aider les autres à accomplir leur épanouissement personnel. Comment ne pas voir et ne pas croire que les valeurs de l'humanisme sont celles de la vie ?
Voltaire disait qu'il faut cultiver son jardin et je n'y ai jamais vu un renoncement, bien au contraire.
Je garde au cœur, et j'y vois un symbole, ce souvenir aperçu de Jean Pierre dans son jardin. Jardiner est en apparence un plaisir solitaire... et d'abord celui de sentir son corps exister dans l'effort, qui laisse des courbatures, nous le savons. Mais c'est aussi un plaisir qui vous relie à la nature, au cycle de la vie.
Je suis sûr que dans le soleil du matin, s'émerveillant devant une fleur éclose, devant la rondeur d'un légume, il sentait passer en lui le souffle frémissant de la beauté du monde, de la puissance de la vie.
Aimons la vie, sous toutes ses formes. Les philosophes grecs ne faisaient pas de différence entre le beau et le bon, ils parlaient de la bonne vie, de la belle vie, de la vie réussie.
Et parce qu'il toujours servi et aimé la vie, Jean Pierre a réussi sa vie, comme l'illustre ce poème de Jean Moréas :
Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;
Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve.
Cet éloge de la vie est l'hommage que je veux rendre à un ami au courage indomptable :
Jean Pierre, comme bien d'autres, s'est battu contre la maladie sans une plainte.
Mais je connais peu d'hommes capables, se sachant condamnés, non seulement de ne pas baisser les bras, non seulement de ne pas se laisser vaincre par la souffrance, le désespoir, mais de continuer à enrichir leur vie comme si elle ne devait jamais cesser, comme si la vie était un cadeau que l'on fait aux autres.
Quel pied de nez à la mort, quel bras d'honneur au destin,que, se sachant condamné, il ait choisi de
continuer à se cultiver et de se mettre à apprendre l'italien avec ses amis du jumelage avec San Vito !
Quel hymne à la vie, à la bonne vie, aura cet acte tout simple, comme celui de poursuivre l'organisation du rallye du patrimoine, envers et contre toutes les souffrances.
Il me plaît d'y voir la leçon transmise par un athlète : coûte que coûte, on ne relâche pas l'effort avant la ligne d'arrivée. Toute sa passion du sport, transmise par son père et vécue sous les couleurs de l'Etoile Athlétique Lovérienne lui a appris cela.
Et que c'est bien le refus de la défaite de la vie qu'il a, à son tour, voulu transmettre, à tous ceux qu'il a aidé à chausser les pointes, dans l'organisation du challenge CARRRINGTON, dans son action dans les instances d'athlétisme. Désormais, le trophée des Jeunes portera son nom, c'est bien peu, mais c'est bien.
Jean Pierre est mort et nous ne croyons pas en son retour, ni à l'immortalité de l'âme.
Mais si ensemble, de toutes nos forces, nous continuons à croire en tout ce à quoi Jean Pierre a cru et a défendu durant sa vie d'homme, si nous croyons en l'homme, si nous croyons en la vie, tant qu'il sera présent en notre mémoire, Jean Pierre, bien que mort, n'est pas et ne sera jamais un disparu.