La sagesse populaire dit " Le mieux est l'ennemi du bien ".
Dicton qui condense en une phrase la position des radicaux de gauche dans le débat sur la réforme des institutions. Cette réforme n'est pas celle que la gauche ferait si elle était au pouvoir. Cette réforme n'est pas la notre, celle que souhaitent la gauche et les radicaux depuis longtemps.
Mais... lorsqu'elle était au pouvoir, la gauche n'a rien fait en matière de rééquilibrage des institutions. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. Et actuellement, la gauche n'est pas au pouvoir.
Mais... Elle ne risque pas d'y revenir si elle se contente de dire qu'être de gauche, c'est être contre tout ce que la droite propose et qu'il faut bloquer ou s'opposer à toute réforme. Cette attitude sera jugée par l'électorat comme paresseuse intellectuellement, stérile pour le pays et finalement bien peu crédible pour l'avenir.
Donc, bien que la réforme des institutions proposée par Sarkozy n'aille pas assez loin, elle va dans le bon sens, celui de la démocratie, en donnant de nouveaux pouvoirs au Parlement et aux citoyens. La conclusion s'impose : il faut la voter. Mais avant de conclure...
C'est dimanche...
Regardons-y de plus près, c'est dimanche, c'est l'été... on a le temps.
En gros, les constitutions démocratiques se divisent en deux grandes familles : régime parlementaire, régime présidentiel. On classe une constitution dans l'une ou l'autre famille selon le type de rapport existant entre Entre le pouvoir exécutif, qui gouverne, qui agit selon les lois, et le pouvoir législatif, qui fait les lois. Cet équilibre entre le Parlement élu et le Président de la République ou tout autre figure symbolique détenant des pouvoirs "régaliens" varie selon les pays.
Pour garder à l'esprit une comparaison utile, quoique grossière, le modèle parlementaire, c'est le système anglais : la source de tout le pouvoir vient du Parlement élu, qui choisit en son sein un premier ministre en charge de l'exécutif, qui nomme les ministres et gouverne. Mais le Parlement peut changer de Premier ministre, faire tomber l'exécutif. Selon les pays, le Premier ministre, chef de l'exécutif, est désigné par une élection au sein du Parlement, ou par le résultat d'élections législatives générales. En aucun cas, il n'est élu directement.
Le modèle présidentiel, c'est le système des Etats Unis. Il y a séparation des pouvoirs entre le Parlement élu et le Président élu par le peuple au suffrage universel direct. Il y a deux sources de pouvoirs, le législatif et l'exécutif sont élus par deux élections clairement séparées et distinctes dans le temps. La clé du système présidentiel c'est la séparation du pouvoir. Le Président ne peut pas dissoudre le Parlement ni l'obliger à adopter une loi, même s'il conserve un droit de veto. Le Parlement ne peut pas " renverser un ministère " par un vote de défiance, comme ce fut le cas si souvent en France sous la 3ème et 4ème . En régime présidentiel, les ministres ne dépendent que du Président et il n'y a pas de Premier Ministre responsable devant le Parlement
Et la France ? Et bien, actuellement, la France est un cas... Un mélange, un régime
hybride, ni strictement présidentiel, ni strictement parlementaire.
Rappelons que beaucoup d'authentiques démocraties conservent un roi : Belgique, Pays-Bas, Espagne, Royaume Uni... Roi sans pouvoir politique, mais dont la fonction est de garantir l'unité du pays et de veiller au respect des institutions. Ainsi aujourd'hui, dans une Belgique menacée d'éclatement, le roi entre, exceptionnellement, directement en scène pour jouer un rôle d'arbitre institutionnel.
A l'avènement de la troisième République, la première République durable, ces fonctions symboliques ont été transférées au Président de la République.
Mais ce dernier était élu par le Parlement. De plus, le chef de l'exécutif était, de fait et depuis 1877, le Premier ministre issu et contrôlé par le Parlement. De ce fait, le pouvoir parlementaire était quasiment sans contrepoids. Tout se jouait à l'Assemblée et au Sénat, le président " inaugurant les chrysanthèmes ".
Cette constitution n'est pas la notre !
La plupart des constitutions naissent de crises politiques aïgues. Celle de la 5ème République est née d'une part des convulsions de la guerre d'Algérie, d'autre part, du constat évident de trop grande faiblesse de l'exécutif, régulièrement balayé par des crises ministérielles à répétition, qui empêchaient toute politique gouvernementale de s'inscrire dans la durée.
Parachevée en 1962 par l'élection du Président au suffrage universel, l'oeuvre constitutionnel du général de Gaulle a durablement donné une forte prépondérance au pouvoir présidentiel. Sans instaurer un véritable régime présidentiel.
Depuis 1958 on constate un déséquilibre évident entre un pouvoir législatif affaibli au profit d'un pouvoir exécutif fort.
Trois clés pour le comprendre : le président peut dissoudre l'Assemblée (
ce qui la rend docile, un député élu n'ayant guère envie de retourner
devant les électeurs souvent ), le gouvernement peut faire passer une loi " de
force " par l'article 49 alinéa trois, l'ordre du jour de l'Assemblée
est décidé par le gouvernement.
Ajoutons les pleins pouvoirs de l'article 16 ( qui peut être légitime en période de crise, mais exige d'être limité ) et surtout l'absence de pouvoirs de contrôle du Parlement. Nos pâles commissions n'ont à voir avec les redoutables commissions d'enquête du Sénat ou du Congrès américain, dotées de pouvoirs étendus et qui siègent en public, voir sous l'oeil des caméras...
Mal fichue, cette constitution de la Vème République ? Oui, de toute évidence.
Car ce qui restait du parlementarisme institutionnalisé a conduit à ce monstre unique : la fameuse dyarchie qui aboutit en période d'alternance, à un exécutif mal partagé entre le président et le premier ministre : la cohabitation, originalité française. Rappelez vous ces sommets diplomatiques ou la France était représentée par deux têtes, ce qui faisait sourire le monde entier. Qui parlait au nom de la France ? Jospin ou Chirac ?
C'est une vraie hypocrisie, une fiction textuelle, de faire croire que les ministres sont indépendants du président et travaillent sous la houlette du premier ministre. En réalité, en fait sinon en droit, le président choisit les ministres et, dans la pratique, contrôle étroitement le gouvernement et la majorité parlementaire.
Ce n'est pas le cas dans les régimes présidentiels assumés, où la séparation des pouvoirs empêche la soumission du législatif à l'exécutif. En cas de Parlement opposé au Président, la négociation et le compromis sont de rigueur et cela ne marche pas si mal.
Curieusement, c'est un gouvernement de gauche ( Jospin ) qui accentuera définitivement la présidentialisation boiteuse du régime en faisant coïncider la date des élections législatives avec celle de l'élection présidentielle.
Désormais, l'élection présidentielle est la seule qui compte, puisque, logiquement, les électeurs ne se déjugent pas un mois plus tard et donnent donc une majorité solide au président qui vient d'être élu. Contrairement aux Etats-Unis où les élections de mid-term, à mi-mandat présidentiel, voient souvent les électeurs désigner une majorité parlementaire de couleur politique opposée à celle du Président.
Que veulent les radicaux ?
Clairement, cette réforme n'est pas la notre. Nos propositions sont
connues, nous voulons une réforme constitutionnelle "radicale" dans
tous les sens du mot, qui donne naissance à une 6ème République.
Depuis des années, la gauche réclame un ré-équilibrage des
institutions en faveur du Parlement. Pour les radicaux de gauche,
l'accroissement des pouvoirs du Parlement exige, paradoxalement... un
régime présidentiel.
Parce que les Français refuseraient tout net de retourner au
parlementarisme de la 4ème République. Parce qu'ils veulent conserver
le droit d'élire directement le président de la République. Si l'on
conserve un président élu, il faut donc mieux séparer, pour mieux les
protéger, l'exécutif du législatif.
Il faut en finir avec la fiction d'un premier ministre responsable
devant le Parlement. Les ministres, le gouvernement doivent dépendre
directement du Président. Mais le pouvoir de discuter les lois et de contrôler l'exécutif en toute
indépendance doit être rétabli en faveur du Parlement.
Voilà, c'est vite fait, vite dit, vite écrit, ce que les radicaux
proposent.
Et Sarkozy ? Il ne fait certes pas la réforme que nous
souhaitons. On ne touche pas au premier ministre, ni au droit de
dissolution. Le Sénat reste scandaleusement élu, sans alternance possible.
Cette réforme n'est donc pas la notre, celle que nous souhaitons faire.
Demain, nous regarderons de plus près les enjeux de cette réforme, qui touche à plus de la moitié des articles de l'actuelle Constitution. Ce n'est pas rien...