En séance plénière du Conseil Régional, j'ai fait entendre ma voix :
« L'heure est venue de sonner le tocsin,
avec insistance. La Normandie émiettée, la Normandie divisée, la Normandie
émasculée a-t-elle bien pris conscience du défi herculéen que lui lance
aujourd’hui Paris, le pouvoir central et l’Etat ?
Une menace pèse sur la vocation des Normands de prendre
en main leur destin. Cette menace a pris forme : celle du projet du Grand
Paris et son volet ferroviaire, la ligne à grande vitesse qui doit prendre la
forme d’un Y normand.
Pour faire face à cette menace et tirer parti du projet de Grand Paris,
existe-t-il une solidarité claire et agissante, une solidarité entre nos deux
demi-régions s’exprimant d’une seule voix ?
Que nenni. Les Normands se livrent, une fois de plus,
aux délices de la cacophonie, à la défense du pré carré, à la philosophie de
bocage.
J’ai participé, avec consternation, aux travaux du
comité de pilotage présidé par le préfet Duport. J’ai vu, j’ai entendu chacun y
défendre ses intérêts locaux.
J’ai assisté à la séance plénière du Conseil général de
l’Eure où le président Destans a fait valider des scénarios qui ne sont pas
ceux défendus par le conseil Régional. Ce dernier ne se coordonne pas avec le
CR de Basse Normandie, alors même que le projet de TGV bas normand traversera
l’Eure, qui fait partie, me semble-t-il de la Haute Normandie.
Quel sera le résultat de cette cacophonie ?
Pour assurer le rayonnement mondial de la capitale, pour
faire de Paris, selon l’expression de Jacques Attali, une ville monde, il faut
en affirmer la dimension maritime
la plus large, et d’abord en aménageant l’axe séquanien du Havre à
Paris.
Formidable ambition, cela va sans dire et projet
enthousiasmant.
Le seul hic, c’est que l’aménageur de la Seine, colonne
vertébrale de la Normandie, sera l’Etat et non les Normands.
Paris nous explique que les Normands, prisonniers de
leurs sempiternelles chamailleries, sont incapables de mener à bien de grands
projets et que, pour donner cette
très belle ambition les moyens de sa réussite, il faut assurer la rapidité de la prise de décision et une
cohérence tant géographique que multi-disciplinaire.Une gouvernance globale,
capable de piloter le projet à tous les niveaux, du niveau local au niveau
européen.
On peut se gausser de Monsieur Attali.Le septicisme
devant les grands projets est, avouons-le, un défaut bien normand et beaucoup
se rassurent en pariant sur l’impuissance pécuniaire de l’Etat.
Mais cet explorateur de l’avenir est en mission de
reconnaissance. Derrière lui se profilent les escadrons blindés du pouvoir
d’Etat, le retour en force du jacobinisme centralisateur.
Déjà, l’Etat a montré sa volonté d’agir en créant un secrétariat d’Etat
chargé du Grand Paris. Ce n’est pas un signe de faiblesse…
Déjà, le préfet Duport, le bien nommé, mène tambour
battant son comité de pilotage sur le dossier emblématique du chemin de fer à
grande vitesse. Ce n’est pas un signe d’inertie…
Alors posons nous la question, chers collègues.
Que restera-t-il à cette assemblée si l’Etat crée un
EPAS, un établissement public d’aménagement de la vallée de la Seine, chargé de
mettre en œuvre, les cinquante propositions de Paris et la Mer dans le cadre
d’une Opération d’Intérêt national ?
Non seulement cet Epas aura vocation au pilotage de
l’aménagement portuaire, ferroviaire, mais il mettra en musique, je cite «
le développement économique,
social et culturel de la vallée de la Seine et son rayonnement au sein
de la France, de l’Europe et du monde.»
Excusez du peu. Que restera t il à cette assemblée ?
Ajoutons à cet arrêt de mort le programme de réforme des collectivités locales
et il ne restera aux Normands que leurs yeux pour pleurer et pour vous,
monsieur le président, des brassées de chrysanthèmes à déposer sur la tombe
d’une Normandie déjà déclinante.
Nous aimons tous la Normandie. Pour qui aime la Normandie,
la lecture de Paris et la Mer est une épreuve cruelle, mais édifiante. Il faut du courage et de la lucidité
pour nous reconnaître dans le miroir ainsi tendu, dans ce portrait d’une région
affaiblie par la division des intelligences, l’incapacité quasi congénitale à s’unir et, en
définitive, le faible poids
économique d’une région exclue du croissant dynamique des régions à forte croissance du PIB régional.
Ce croissant dynamique qui part de Rhône-Alpes ( région
à 5 départements ) et s’arrête,
comme par hasard, à la Bretagne où l’on sait si bien s’unir pour la réussite de
grands projets.
Dans le domaine de l’action régionale par excellence,
les infrastructures de transport, le bilan n’est guère brillant. Dans ce
domaine, la Normandie a accumulé les grands retards et les mécontentements
d’usagers. Comment ne pas songer aux palinodies, aux hésitations aux
non-décisions entre les 4 aéroports normands l’absence criante d’un schéma de
développemt portuaire concerté
allant de Dieppe à Cherbourg alliant les ports de Paris et de
Rouen,? Que dire de l’initiative d’un conseil général achetant tout seul le
port de Newhaven ?
Certes, sous l’impulsion d’Alain Le Vern, l’amélioration
du matériel ferroviaire roulant est spectaculaire et la rationalisation de l’offre aéroportuaire va pouvoir
commencer.
Ne recommençons pas les erreurs de Port 2000 !
Port 2000 a été le plus grand investissement consenti
par l’Etat en région depuis un quart de siècle. Et l’Etat, fort habilement, a
joué de la division entre la Normandie du Nord et la Normandie du Sud aboutir à
une directive territoriale d’aménagement où, entre la vocation normande et les
diktats de l’Etat, l’accord ressemble fort au fameux pâté d’alouette.
Ainsi, à l’heure actuelle, 85 % du fret issu du port du
Havre est chargé sur des camions qui encombrent le réseau autoroutier, au
mépris de tous les principes du développement durable.
La ligne Paris Rouen Le Havre, engorgée, saturée depuis
des années n’est capable ni d’assurer convenablement le trafic voyageurs, ni
l’acheminement du fret issu de Port 2000.
Que dire du trafic fluvial ? Où sont les plate formes tri-modales dont le
chapelet egréné tout au long de la Seine, doit concurrencer les infrastructures
du Canal Seine Nord, éviter que Rotterdam et Anvers ne deviennent
définitivement les ports du Grand Paris et conserver en région une part de la
valeur ajoutée de la logistique ?
Mais l’incapacité à imposer, depuis 15 ans, face à l’Ile
de France et à l’Etat le doublement de la ligne Paris Rouen Le Havre entre Mantes
et Saint Lazare, n’est-elle pas emblématique de la faiblesse politique de nos
deux demi-régions face à l’Ile de France, Paris et l’Etat ?
Oui, les Normands paient cash le prix de leur division.
Peu suspect de partialité, parce que commandité ici-même, le rapport
d’expertise EDATER a souligné la dévitalisation rampante, la perte de
croissance, de richesses et d’emplois induite par la division de la Normandie.
Les économistes comprendront mon impatience devant la
lenteur du processus de réunification devant ce chiffre énorme, cette
fourchette établie par le rapport Edater de 14 à 26% de croissance perdue sur
une durée de quinze ans. Ce sont des milliers d’entreprises et d’emplois que
nous avons laissé sur le quai.
Nous payons cette
division par l'absence de grands projets normands et plus généralement par
l'inefficacité de politiques qui se déploient sur un territoire trop étriqué
pour être pertinent.
Que l’on me comprenne
bien : ni les exécutifs régionaux, ni leurs dirigeants ne sont à mettre en
cause. Ils sont brillants et compétents. Alain Le Vern, Laurent Beauvais,
Didier Marie, Jean Louis Destans mènent, à l’échelon de nos demi-régions, les
meilleures politiques possibles actuellement.
Mais à l’heure où les
grandes régions françaises s'alignent en coupe d'Europe, combien de temps
encore allons nous jouer au footsal avec deux équipes, certes talentueuses,
mais entraînées sur un terrain de handball ?
Seule la réunification permettra à la Normandie de
répondre aux défis du présent et de construire son avenir. Aussi, à l’image du
vieux CATON, vais-je conclure ce discours par une formule qui devra être
martelée jusqu’à la renaissance de la Normandie :
Conjungenda est Normannia ! »