Daniel Cohn Bendit, député vert européen, a livré ses réflexions sur l'Europe dans le cadre d'un chat organisé par Le Monde. En voici la reproduction intégrale... En attendant vos commentaires.
Piotr
Chat
Quelles perspectives pour l'Europe ?
LEMONDE.FR | 15.06.05 | 13h16 • Mis à jour le 30.06.05 | 16h30
L'intégralité du débat avec Daniel Cohn-Bendit, eurodéputé (Vert), jeudi 30 juin 2005
Benj : Tony Blair est-il vraiment responsable de l'échec du Conseil européen ?
Daniel Cohn-Bendit : Tony Blair seul, non. Il ne voulait pas d'un accord au sommet européen, mais les Néerlandais non plus, les Suédois non plus. Et il faut dire que les Français, refusant de débattre de la politique agricole commune d'une manière fondamentale, n'étaient pas non plus d'une aide précieuse.
Sebcaen : Comment l'UE va-t-elle pouvoir prendre des décisions à 25 avec le traité de Nice ? Les chances mathématiques de trouver un accord ne sont-elles pas minimes ? L'Europe est-elle condamnée à la paralysie ?
Daniel Cohn-Bendit : C'est une des difficultés, et c'est pour cela que nous avions défendu le traité constitutionnel en tant que Verts européens. Pour ne pas condamner l'Europe à la paralysie, il faut maintenant repartir à l'assaut, parce que contrairement à ce que prétendaient les nonistes, il n'y a pas de plan B, et d'ailleurs une partie des nonistes, les souverainistes, comme MM. Chevènement, de Villiers, Le Pen, et d'autres, veulent la paralysie liée au traité de Nice.
Ralakaskete : La campagne pour le oui au référendum n'a-t-elle pas été d'une incohérence absolue ?
Daniel Cohn-Bendit : Je ne sais pas ce que cela veut dire. La campagne pour le non n'était pas très cohérente non plus. Les différentes forces politiques ont cru bon de faire des campagnes individualisées, et au moins les forces de gauche pour le oui auraient dû faire une campagne commune. Cette division a exprimé peut-être cette incohérence.
Sirius2 : Ouvrir les négociations avec la Turquie, contre la volonté des peuples, ne risque-t-il pas d'accroître les difficultés de l'Union européenne ?
Daniel Cohn-Bendit : Premièrement, on ne connaît pas la volonté des peuples, étant donné que l'on n'a rien dit sur la Turquie en ratifiant le traité constitutionnel. L'ouverture des négociations veut simplement dire que dans les dix ou quinze prochaines années, on va vérifier si l'évolution démocratique de la Turquie devient compatible avec l'Union européenne. Ni plus ni moins.
Jéjé : Ne pensez-vous pas que l'élargissement s'est déroulé de manière précipitée, sans réelle explication aux citoyens européens ?
Daniel Cohn-Bendit : L'élargissement européen est en fait une réunification de l'Europe. Cette possibilité de réunion a été ouverte par le fait que les peuples polonais, tchèque, hongrois, baltes, slovène, etc., se sont libérés du totalitarisme communiste. La réunification européenne devenant ainsi le symbole de l'effondrement du communisme. Est-ce que les responsables politiques des pays de l'Union ont été à la hauteur de cet événement historique ? La question mérite réflexion.
Grim : L'Europe n'est-elle pas devenue une simple zone de libre-échange faute de politique commune ?
Daniel Cohn-Bendit : Ce n'est pas tout à fait juste, puisque deux piliers fondamentaux de la politique européenne, la PAC et la politique de solidarité avec les régions européennes, sont justement l'expression d'une politique économique active, ne laissant pas les décisions au marché. On peut critiquer ces politiques, mais dire que l'Europe est simplement une zone de-libre échange ne correspond pas à la réalité. Il y a aussi du libre-échange en Europe, que l'on peut combattre politiquement, mais ce n'est pas la caractéristique unique de l'espace européen.
Baloo : Comment revoir le rôle de la BCE ? Quel budget européen ? Pourquoi ne pas créer un impôt européen ?
Daniel Cohn-Bendit : Sur la fiscalité européenne, les Verts européens et d'autres avaient tenté d'ouvrir cet espace à la convention, malheureusement nous n'avions pas eu de majorité. Ce qui est certain, c'est qu'un budget européen ne comprenant en majorité que des contributions nationales ne fait qu'exacerber le nationalisme de ceux qui soi-disant paient le plus. C'est pour cela que nous avons besoin d'un financement européen par une fiscalité écologique, c'est-à-dire par exemple une fiscalité sur la consommation d'énergie, ou de prendre une base de la fiscalité sur les entreprises comme une fiscalité européenne, ou de prendre un demi-cent ou un cent par coup de téléphone comme contribution au budget européen. Mais il faut savoir que toutes ces décisions fiscales passent par un vote au Conseil, où il faut l'unanimité.
PIERRE_GEM : Etes-vous pour une réforme ou une suppression de la PAC ?
Daniel Cohn-Bendit : Je suis pour une réforme de la PAC. Je suis pour la suppression d'aides à l'exportation agricole. Je suis donc pour une restructuration des subventions agricoles, y introduisant des critères sociaux et écologiques. Je suis pour un transfert d'une partie des subventions agricoles vers une aide au développement rural. Et enfin, je crois qu'il faut passer vers un renforcement de l'idée de cofinancement entre l'Union européenne et les Etats membres en ce qui concerne les subventions agricoles. Mais je suis pour maintenir la PAC.
"LE MODÈLE SOCIAL FRANÇAIS DOIT ÉVOLUER"
Oui-oui : Pensez-vous nécessaire, inexorable, une "Europe à plusieurs vitesses" ? Ou au contraire pensez-vous qu'il faudrait l'éviter ?
Daniel Cohn-Bendit : Il est difficile de répondre à cette question par un oui ou par un non. L'Europe à des vitesses différentes existe aujourd'hui. Prenez l'exemple de la zone euro. Donc que des Etats puissent prendre des initiatives de coopération renforcée me paraît normal. Mais il faut que ces coopérations s'affirment dans la perspective de devenir des politiques européennes communes.
Bigdaddymars : Les Anglais veulent une Europe économique. La présidence anglaise à ce moment précis ne risque-t-elle pas de sonner le glas de l'Europe politique ?
Daniel Cohn-Bendit : Non, ce n'est pas si simple. Parce que la présidence ne peut que proposer. Tout le problème est de savoir quelles seront les initiatives non seulement de la présidence, mais des autres Etats européens ou du Parlement européen, ou de la Commission européenne, pour justement relancer l'Europe politique. Par exemple, une position commune des Etats européens face à la réforme nécessaire de l'ONU, ou une position commune de l'Europe pour une réforme de l'OMC, imposant que les critères de démocratie sociale (liberté syndicale, liberté d'expression) soient reconnus comme critères devant être respectés par tous les Etats membres de l'OMC. Suivez mon regard vers la Chine...
Abder : Pensez-vous que l'intégration de la France à l'Europe remette inexorablement en cause notre modèle social ?
Daniel Cohn-Bendit : D'abord il faudrait que les Français discutent sur la réalité, le fonctionnement réel du modèle social français. Le modèle social français n'est pas remis en cause par l'Europe. Mais si l'on croit qu'il n'y a que le modèle social français qui puisse servir de modèle à l'Europe, alors là on se trompe. Le modèle social français doit évoluer, il est bon de regarder comment cela se passe dans d'autres pays européens pour en tirer les leçons nécessaires.
FREDERIC : Un axe Allemagne-Angleterre peut-il remplacer un axe franco-allemand pour faire avancer l'Europe ?
Daniel Cohn-Bendit : Non. Il peut y avoir une connivence germano-anglaise, mais cette connivence n'aura jamais la valeur politique et symbolique d'une connivence franco-allemande.
Euro_du_village : Existe-t-il un modèle social européen, en dehors des modèles américain, anglo-saxons (je fais une différence), rhénan et français ?
Daniel Cohn-Bendit : Il reste le modèle scandinave. Mais un modèle social européen qui ne soit pas simplement calqué sur un modèle national reste à inventer.
Demosvoice : Quelles sont pour vous les limites de l'élargissement de l'Union ?
Daniel Cohn-Bendit : Autant je disais que la réunification européenne était une conséquence logique de l'effondrement du communisme, autant la question de l'intégration de la Turquie est un véritable élargissement. Il y a des arguments pour et des arguments contre. En tout cas, je suis persuadé que les frontières de l'Europe seront ou à la frontière de la Turquie, ou épouseront les frontières turques. Au-delà de la Turquie, je ne vois pas de perspective d'élargissement de l'Europe. La Méditerranée restant, d'un autre côté, la frontière de l'Europe séparant l'Union du continent africain.
David-toulouse : La Constitution européenne a été rejetée par la France et d'autres pays. Il y a manifestement un décrochage entre les citoyens et leurs dirigeants européens. Que comptez-vous faire pour que le citoyen européen se sente plus concerné ?
Daniel Cohn-Bendit : Il y a des pays où la Constitution a été ratifiée, d'autres où elle a été refusée. Il faut maintenant revoir la copie de telle manière que dans un référendum européen, les citoyens européens, aussi bien ceux qui ont dit oui que ceux qui ont dit non, puissent s'exprimer en tant que citoyens européens. Et cette Loi fondamentale européenne nécessaire serait ratifiée si une majorité des Européens se prononçaient pour et s'il y avait majorité dans au moins 20 des 25 pays européens.
Bast : Quelles sont pour vous les principales missions de l'Europe dans les dix ans à venir ? Y a-t-il un projet ou n'est-ce finalement que de la gestion courante ?
Daniel Cohn-Bendit : Il y a plusieurs projets, mais derrière la question se dessine un manque. Je crois qu'il est nécessaire de définir ce projet avec ses priorités. Priorité d'un développement d'un espace économique et social écologiquement soutenable, développement de la responsabilité de l'Europe face à la mondialisation, et enfin que l'Europe devienne un acteur d'un monde multilatéral, un acteur capable d'être un médiateur dans les conflits guerriers.
Chat modéré par Constance Baudry et Célia Mériguet
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